« Oui, et surtout une bonne santé, tu sais, car c’est très important la santé, aaah, toi tu es jeune, tu ne sais pas, mais crois-moi, je te le dis, le plus important, c’est vraiment d’avoir la santé, aaah si tu savais… »
Tu as raison, mais j’ai 22 ans, j’ai une santé de fer, je fais du sport, je mange sainement et je ne me déplace pas en voiture. J’ai parfaitement compris l’intérêt d’avoir une bonne santé, et je fais tout pour la conserver.
Pourquoi donc chercher absolument à placer ta petite phrase ? Elle ne m’apporte aucune information que je n’ai pas, et me la souhaiter ou pas ne changera rien à mes chances de rester en bonne santé. Elle sert juste à plomber l’ambiance, ou alors à faire dévier la conversation vers tes problèmes de santé[1].
Balzac disait à ce propos : « Les vieillards sont assez enclins à doter de leurs chagrins lʼavenir des jeunes gens. »
Attention, la prochaine vieille ou le prochain vieux qui me sort ça risque de se faire répondre :
- Tu es bien placé•e pour le savoir, vu que toute ta vie tu n’as pas fait d’efforts pour la conserver (et lui donner des exemples : elle a négligé de faire de l’exercice, elle prenait la voiture pour le moindre trajet, etc.).
- À qui le dis-tu, j’ai le cancer et je n’ai plus que deux mois à vivre.
- Ah bon, moi qui croyais que le plus important c’était d’être bien portant. M’aurait-on menti pendant toutes ces années ? (Débat sémantique en vue.)
- C’est vrai, pour surtout ne pas terminer comme toi. C’est cruel, parfois, la vie, tsss.
- Tu as raison, mais avoir toute sa tête est également très important, et je te rappelle que tu me sors la même phrase inlassablement depuis 10 ans.
- Je te regarde et effectivement je me dis que tu en as fait la triste expérience.
- Je m’en fiche, je ne veux pas vivre vieux (il n’y a qu’à te voir, ça ne donne pas envie), je tiens à en profiter à fond et mourir dans un orgasme.
- Si on veut vivre longtemps en bonne santé, il faut renoncer à tous les plaisirs de la vie, qui sont justement ceux pour lesquels on aurait envie de vivre longtemps. Dès lors, je me demande à quoi bon.
- Pourquoi tu me dis ça ? J’ai l’air en mauvaise santé ? Ah non, tu parlais de toi, ha ha !
- La Santé ? Mon pote Jérôme y a été incarcéré 3 ans et il n’a pas trouvé ça tellement chouette.
- C’est clair qu’à ton âge on ne peut plus guère qu’espérer d’avoir un peu de santé pour tenir le coup tant bien que mal, alors que moi on peut encore me souhaiter de vivre de belles histoires d’amour, des aventures palpitantes, de réaliser tous mes rêves…
- C’est vrai, mais je te rappelle que malgré tes incantations tu mourras avant moi.
- OK boomer, est-ce que je comprends que tu fais allusion à la planète en mauvais état – et aux défis sanitaires qui s’ensuivent – que ta génération nous laisse ? Sur la santé de la planète, je ne suis pas sûr que tu sois bien placé pour donner des leçons.
- C’est vrai, mais je te rappelle que je mourrai peut-être avant toi. Un accident est si vite arrivé.
- Pas d’accord, le plus important c’est de faire plein d’argent. Et quand je serai riche je pourrai me payer les opérations qui me rendront immortel, hé hé.
- Quand je pense que c’est la dernière fois que je t’entends prononcer ces mots…
(1) C’est le moment de réécouter Papyvole de Pierre Perret, qui explique que les vieux sont souvent tous seuls « parce qu’ils font chier tout le monde avec leurs petits bobos ».