« Pas content, je ne suis pas content ! »
Ça rouspète au nom du prix du carburant. Mais ça ne tient pas vraiment la route : la bagnole ça pollue, ça détruit tout et l’urgence serait au contraire de s’en débarrasser, à l’heure où on parle même d’une UE zero-carbon en 2050.
Alors on rouspète sur le pouvoir d’achat en général, le salaire poche. Mais bon, ici aussi les statistiques vont faire voler en éclat tous les slogans. Car si à entendre certaines déclarations, nous aurions un prolétariat qui vivrait dans des conditions dignes du Germinal de Zola, eh bien la population européenne même la plus pauvre a quand même accès à un toit et des soins, a une espérance de vie convenable. Et que par dessus tout, elle a encore suffisamment d’argent pour consommer tout autant que les riches pour ce qui est de certains biens de consommation a priori non utiles : peut-on vraiment affirmer que les mêmes qui rachètent un téléphone portable tous les 8,5 mois (moyenne actuelle, c’était 11 mois il n’y a pas si longtemps), qui ont une facture de téléphone/data de plus de 50 € par personne par mois, qui achètent des musiques sur iTunes, qui souscrivent à Netflix et à plein de services payants, qui ont acheté l’abonnement BasicFit de 48 mois pour courir dans une salle plutôt que gratuitement dans le parc, se saignent paraît-il aux quatre veines en achetant des produits alimentaires bas-de-gamme car ils n’ont même pas de quoi s’offrir des aliments corrects ?
Alors on reporte sa colère sur les riches, les multinationales, les privilégiés. Mais ici aussi, demandons-nous qui sont les plus assidûs supporters du foot ou des autres sports, ce sont souvent des pauvres qui claquent de l’argent pour aller regarder des millionnaires en short dans un environnement rempli de publicités, qui les conditionne à dépenser encore plus en achats inutiles. Si notre pauvre n’aime pas le sport télévisuel, il peut aussi se pâmer devant quelques « stars » du cinéma ou de la chanson, c’est pareil. Ah, peut-être un point valide dans l’argumentaire : il est rare que les banquiers suscitent l’admiration.
Et donc on se retrouve à clamer sa haine des politiques, avec des revendications étranges, qui se résument pour certains à : « J’ai voté Macron au 2e tour, et un an plus tard je me rends compte qu’il n’a pas tout arrangé et qu’il y a toujours des problèmes dans le monde ou dans mon pays. » Alors on se pare de grands mots, pour dire que son pays est gouverné par des gens déconnectés du peuple (ça, c’est surtout en France, où les élus, très majoritairement quinquagénaires au moins, et énarques ; en Belgique on a beaucoup plus d’élus qui ressemblent au peuple, et ce n’est pas mieux pour autant, car on a trop souvent des débats parlementaires dignes d’un café du commerce, où personne ne peut faire preuve de hauteur de vue). Mouais ! C’est tout ?
Et de s’embrigader alors dans d’énormes rassemblements, où sous couvert d’apolitique et de non-récupération, on espère ratisser aussi large que possible : un voisin qui viendra car il veut rouler pas cher avec sa bagnole, un autre car il trouve que son ticket de caisse a vachement augmenté, etc. Et à force de ne pas filtrer, on ramasse alors un peu tout et n’importe qui (sans même parler des casseurs, qui se glissent là, tellement heureux de profiter de cette foule pour en découdre avec l’autorité.) Ce vendredi après-midi à Bruxelles, j’ai même entendu des Belges très en colère contre le fait que le gouvernement va désormais pratiquer la retenue des revenus à la source… sauf qu’ils ont dû oublier que ça, c’est une mesure française, car elle existe chez nous depuis toujours (en Belgique, l’employeur verse seulement le salaire net et paie la différence brut–net directement à l’État).
Bref, un drôle de mouvement, qui avance de manière dispersée, qui n’a pas l’air très clair dans ses revendications, mais qui a déjà ses chiens de garde prêts à utiliser d’intimidations physiques envers quiconque ose en dire du mal.