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Les mots importés

Amis francophones,

En général vous râlez souvent que le français assimile trop de mots anglais, que cela nuit à la « pureté » de la langue, qu’il est le plus souvent possible de les remplacer par de très jolis mots français (pour prendre un exemple de 1995, pourquoi dire pin’s alors qu’on pourrait utiliser épinglette, ce qui est très moche, mais au moins ça vient de chez nous).

Alors, certes mais que pensez-vous de tous ces mots anglais qui figurent dans la langue depuis des lustres ? Parmi tous ceux-ci, qui n’ont pas attendu la vague technologique des « dot-com » pour arriver dans notre dictionnaire.

Exercice amusant si vous avez une personne anglophone dans votre entourage : prononcez n’importe lequel de ces mots et comparez avec sa façon à elle, vous risquez d’être horrifiés.

  • baby-foot
  • best-of
  • boiler
  • building
  • bulldozer
  • un corner
  • caterpillar
  • Connecticut
  • corned beef
  • cutter
  • dragster
  • fish sticks
  • freezer
  • gangster
  • gas-oil
  • General Motors
  • gentleman
  • Greenwich
  • hamburger
  • handball
  • hi-fi
  • Internet
  • knock-out
  • Levi’s
  • love story
  • Lucky Luke
  • merchandising
  • McDonald’s
  • Microsoft
  • mustang
  • Pearl Harbour
  • pitt-bull
  • pull-over
  • revolver
  • soul music
  • Spiderman
  • sweat-shirt
  • tie-break
  • underground
  • uppercut
  • US Open
  • water closet
  • weight watcher
  • Wimbledon
  • 22 long rifle

Dans une prochaine chronique, nous aborderons également les mots empruntés à d’autres langues que l’anglais, tels que bunker, Groenland ou vasistas, et qui sont également revêtus d’une prononciation pour le moins originale.

Wikipedia – Les anciens et les modernes

L’intérêt d’une encyclopédie, c’est de garantir une certaine cohérence de style.

On trouve un véritable style encyclopédique pour les articles de Wikipédia relatifs à des grands événements de l’Histoire ou ceux relatant la vie des grands de ce monde, surtout ceux des siècles précédents.

A contrario, les utilisateurs qui écrivent sur les sujets d’actualité tendent parfois à oublier qu’ils rédigent une encyclopédie. Alors, la plume dérape et se met à singer naturellement le style et les expressions de la presse quotidienne ou sportive, où on s’émerveille si facilement de détails éphémères pour remplir son papier, quand ce n’est pas celle des magazines télé.

Imaginerait-on des articles comme suit ?

La Tour Eiffel

Style classique
Elle est inaugurée par Gustave Eiffel le 31 mars 1889.

Style moderne
L’inauguration en grande pompe a lieu le dimanche 31 mars 1889 à 12h10, en présence d’une délégation ministérielle abondante et d’une foule venue nombreuse malgré la légère pluie de ce début de printemps, certains arborant des drapeaux français. Un cortège d’enfants, parmi lesquels certains se retrouveront mobilisés pour la Première Guerre Mondiale à peine 25 ans plus tard, est également de la partie. Prenant la parole en premier, le Président du Conseil, Émile Chautemps déclare d’un ton solennel : « C’est un grand jour pour Paris. » Il cède ensuite la parole à Gustave Eiffel, le génial architecte et concepteur de l’édifice majestueux, qui, la voix émue, prononce à son tour : « Je suis content, c’est un bien bel ouvrage, dont nous pouvons être fier. » L’orchestre entame ensuite la Marseillaise alors que les personnalités présentes coupent le ruban à 13h04 précises.

Napoléon Bonaparte

Style classique
Napoléon meurt à l’âge de 51 ans, le 5 mai 1821, des suites de sa maladie.

Style moderne
Napoléon rend son dernier souffle le 5 mai 1821 à 17h41. L’information fut rendue publique dès le lendemain par ses proches, qui déclarèrent par voie de communiqué : « Nous sommes dévastés par la triste nouvelle du décès de Napoléon Bonaparte. Nous perdons un parent, un ami très cher, un fils, un père de famille, un oncle… Napoléon était un champion, un gagnant, un phare qui brillait de mille feux. Nous avons le cœur brisé et nos prières accompagnent la famille, les amis et tous ceux qui, de près ou de loin, l’ont connu. » À l’annonce de sa mort, plusieurs centaines de citoyens français se réunissent pour participer à une veillée. Les témoignages de sympathie affluent des quatre coins de l’Europe de dirigeants et de citoyens tenant à lui rendre hommage. De nombreuses cérémonies commémoratives sont menées à travers le pays.

Le sport

Style classique
Il fait partie de l’équipe du Brésil victorieuse de la Coupe du monde en 1958, où il n’a joué que quelques minutes.

Style moderne
Ses bonnes performances en club éveillent l’intérêt du sélectionneur national. Le 17 avril 1958 il apprend sa sélection pour figurer dans l’équipe qui s’envolera pour la Coupe du monde, événement-phare s’il en est, afin d’y affronter les autres nations. Bien que non-titulaire, il prend son mal en patience et sa persévérance paiera lorsque Santos da Silva sort sur blessure à la 87e minute du match contre la redoutable équipe d’Union soviétique et qu’il fait son apparition sur le terrain en remplacement du titulaire blessé. Il réussit une bonne première touche de balle et délivre une bonne passe latérale, malheureusement mal négociée par son coéquipier qui laisse filer le ballon en touche. Il déclarera par la suite que de pouvoir fouler le terrain sous le maillot auriverde, qui plus est pour un match de Coupe du monde, était la plus belle chose qui lui soit jamais arrivée, et qu’il dédie cet événement à sa famille, qui a toujours su croire en lui.

Les œuvres de fiction

Style classique
Le petit chaperon rouge rencontre le loup, le loup mange la grand-mère, se déguise et mange le petit chaperon rouge. Arrive un chasseur qui tue le loup. Le petit chaperon rouge et la grand-mère en ressortent saines et sauves.

Style moderne
Le petit chaperon rouge rencontre le loup. Le loup se dirige vers la maison de la grand-mère. Mais le petit chaperon rouge parviendra-t-elle à déjouer le piège tendu par le loup ?

Le nouveau fictionnaire illustré

Une suite bienvenue à un livre très plaisant intitulé Petit fictionnaire illustré : les mots qui manquent au dico par Alain Finkielkraut, Seuil (1981).

Voici quelques mots supplémentaires.

Accrobranche (n.f.)
Trou dans un pull survenu en passant trop près d’un arbre.

Batrachien (n.m.)
Grenouille qui remue la queue et vous suit partout.

Cacadeau (n.m.)
Petit étron flottant offert comme surprise à l’occupant suivant.

Cathédrôle (n.f.)
Édifice religieux dont la vue suscite l’hilarité.

Éfiction (n.f.)
Éviction imaginée seulement en pensées.

Entrepologue (n.m..)
Spécialiste de l’étude des grands bâtiments logistiques.

Érincé (adj.)
Se dit d’une personne en état de fatigue extrême d’avoir marché sous une pluie battante.

Mamyfestation (n.f.)
Manifestation de personnes âgées.

Misturbation (n.f.)
Plaisir onanique qu’on ne s’autorise qu’à moitié.

Péripéticienne (n.f.)
Prostituée à qui il arrive sans cesse des imprévus.

Perfectionanisme (n.m.)
Recherche de la perfection dans l’art masturbatoire.

Randomnée (n.f.)
Promenade consistant à marcher un peu au hasard.

Tchadoration (n.f.)
Amour inconditionnel pour le fait de se couvrir la tête.

Thégueulasse (n.m.)
Boisson chaude qui vous fait regretter de n’avoir pas plutôt commandé un café.

De la symétrie de la langue

Le français recèle de mots qui se complètent pour désigner l’inverse de l’autre : entrer/sortir, grand/petit, gauche/droite, vie/mort, créer/détruire, etc.

Et pourtant, certains mots ou expressions semblent nous forcer à ne voir une situation que sous un seul angle.

  • Le cadet de mes soucis. Où se trouve l’ainé de mes soucis ? On constatera au passage que ledit cadet est parfois plus vieux que des soucis plus récents, mais passons.
  • Je vous présente ma moitié. Mais elle, en parlant de son mari, ne dira jamais qu’il est son « double ».
  • Quelqu’un a-t-il jamais prononcé la phrase qu’en ce moment il avait la tête à ça ?
  • Peut-on mourir d’une bonne chute ?
  • Le dernier des Mohicans. Très bien, mais a-t-on jamais identifié le premier des Mohicans ?
  • Vous arrive-t-il de déclarer, en pensant au passé, que c’était la petite époque ?
  • A-t-on déjà entendu quelqu’un, confronté à l’exposé d’un problème, déclarer qu’il en avait tout à foutre ?
  • Et le gars qui n’en pense pas plus, qu’est-ce qu’il en dit ?
  • Peut-on justifier des entorses aux règles en cas de force mineure ?
  • Que trouve-t-on entre le premier et le 35e dessous ? Et peut-on être dans le 36e dessus ?
  • A-t-on déjà inauguré quelque chose en petite pompe ?
  • Peut-on dormir à la vilaine étoile ?
  • Au décès de quelqu’un on annonce qu’il s’est éteint, mais on ne parle jamais de la naissance d’un enfant pour dire qu’il s’est allumé à cette date.
  • On prend le petit-déjeuner mais c’est à quelle heure le grand-déjeuner ?
  • Et être dans de vilains draps, c’est bien comme situation ?
  • Les grands esprits se rencontrent. Tant mieux pour eux, mais a-t-on jamais théorisé si les petits esprits pouvaient eux aussi parfois se rencontrer ? Et est-ce qu’un petit peut rencontrer un grand ?

Pour une évolution intelligente du français

Le français est une langue vivante. Le vocabulaire et l’orthographe ont vocation à changer avec le temps. Comme le rappelait Pierre Perret dans sa chanson La réforme de l’orthographe, Molière écrivait « mercy » avec un Y.

Le débat sur l’évolution de la langue est toujours sensible. Surtout lorsqu’il prend une tournure politique avec des mots se voulant plus inclusifs (« iel »). Et encore, on ne parle pas du point médian ici, qui est surtout un système d’abréviation à l’écrit (petite digression mais entend-on des gens hurler au scandale quand on abrévie « Madame » en « Mme » que l’on écrit « qqch » pour gagner du temps ?)

On n’aime pas choisir entre deux camps. Pour caricaturer à l’extrême, on aurait ainsi deux camps :
* D’un côté, les conservateurs qui ne veulent rien changer, parce qu’à ce train-là on ne parviendra plus à lire Victor Hugo dans le texte, et puis avec tous les efforts mis à apprendre tous les particularismes, ce serait bête de devoir tout ré-apprendre.
* De l’autre, ceux qui défendent le point de vue que la langue appartient à tout le monde et qu’elle doit évoluer d’après les usages.

Vous voulez mon avis ? En fait, chacun a raison. Et chacun a également un peu tort.

Nous plaidons pour des évolutions intelligentes de la langue. On pourrait fixer quelques critères bien choisis.

  1. Est-ce que ça permet de mieux nous comprendre ?
    Si ça permet de désigner les choses de façon plus précises, allons-y. Oui pour des mots exprimant des nouveaux concepts (un psychologue québecois parle par exemple du concept d’humanitude), oui au pronom « iel ».
    Si ça sert à embrouiller les esprits, il faut s’en débarrasser. Quand les jeunes disent qu’ils « matent » un film, ça détourne le sens du verbe « mater » (on l’utilise pour dire qu’on regarde mais d’une façon bien précise, et ce deuxième usage introduit alors une ambiguïté qu’on n’avait pas quand on distingue correctement « mater » et « regarder ») et cet usage doit être déconseillé. Pareil pour le mot « souci » qui est de plus en plus utilisé pour éviter le mot « problème », ou pour tous les néologismes dont sont friands les médias et qui n’apportent parfois rien.
  2. Est-ce que ça rend la langue plus logique ?
    Certes, ça risque de nous faire accepter un peu à contrecœur des formules comme « boire → ils boivent, donc croire → ils croivent » mais c’est un peu l’idée. Il faut se débarrasser de l’argument selon lequel les exceptions feraient la « beauté de la langue » (critère hautement subjectif). Gardons les accent circonflexes s’ils sont importants pour la prononciation ou s’ils servent à empêcher la confusion entre deux mots (sur / sûr) mais supprimons-les ailleurs. Pareils pour certaines consonnes dédoublées, lettres muettes, etc. lorsqu’il n’y a aucune justification autre que « c’est comme ça, c’est historique, tu comprends ».

Il n’y a plus de problèmes

Y aurait-il un tabou quant au mot « problème » ?

Tant de gens semblent vouloir l’édulcorer dans les conversations :

  1. J’ai un souci
  2. Dans cette histoire, le souci est que…
  3. Pas de souci !

Et quand les problèmes sont à charge d’une mauvaise gestion par les pouvoirs publics, le mot est également délicatement substitué. Dans la presse, on parle désomais obligatoirement de « couacs » (pour la campagne de vaccination, l’organisation d’un événement, la communication, la gestion de la rentrée scolaire…)

Vous avez un problème avec le mot « problème » ?

Ah, si, il y a une exception. Quand un gars a des intensions agressives (par exemple un automobiliste qui a compris que tu l’as vu commettre une infraction et qui est prêt à en découdre), il lancera l’inévitable : « Qu’est-ce qu’il y a, t’as un problème ? » d’un ton provocant. Ben, non, justement, ou alors, si, un problème, plus exactement un gros coup de cafard de voir tant de glissements sémantiques, mais, cher monsieur qui m’invectivez, j’ai peur que les conditions ne soient pas réunies pour avoir un débat serein avec vous, alors je me replie humblement et je vous réponds : « Non, pas de souci ! »

Les autres et moi

Les autres se garent comme des porcs.
Moi, j’ai été obligé de me garer en infraction.

Les autres ont des dettes. (Tss, les yeux plus gros que le ventre.)
Moi, j’ai juste contracté un prêt.

Les autres sont incapables d’écrire sans faire de fautes.
Moi, c’est une simple distraction, même si ça m’arrive régulièrement.

Les autres gèrent mal leur emploi du temps.
Moi, j’ai une excuse, je suis débordé (depuis 20 ans au moins, mais chûûût).

Les autres ont réalisé un achat que je qualifie de caprice.
Moi, ce n’est pas pareil, c’est une récompense bien méritée.

Les autres s’empiffrent et ne pensent qu’à la bouffe.
Moi, je suis un bon vivant, un amateur de bonne chère et des plaisirs de la table.

Les autres auraient vraiment dû faire attention, on ne peut pas leur faire confiance.
Moi, c’était un simple petit accident, ça peut arriver à tout le monde.

Les autres ont des obsessions, ce sont vraiment des névrosés.
Moi, j’ai des centres d’intérêt, des sujets de prédilecton qui me tiennent à cœur.

Les autres ont raté l’examen parce qu’ils ont mal étudié.
Moi, j’ai raté mais c’est injuste, le prof a posé des questions trop dures.

Les autres s’acharnent, sont dogmatiques et inflexibles.
Moi, je suis déterminé et je défends fermement mes valeurs, elles ne sont pas négociables.

Les autres sont désorganisés, ne savent pas où aller et naviguent à vue, comme des poules sans tête.
Moi, c’est différent, je vogue au gré de mes envies et selon mon inspiration du moment.

Les autres sont débiles d’avoir toujours leur téléphone portable à portée de vue.
Moi, c’est différent, je dois absolument pouvoir rester joignable à tout moment.

Où sont-ils ?

Il y a des expressions bien étranges parfois.

On doit se demander pourquoi on ne parle jamais d’eux :

  • le premier monstre sacré
  • la personne qui est née de la dernière pluie
  • l’aîné de mes soucis
  • une grande signature, svp
  • les jours de petit froid
  • le type que j’appelle mon bras gauche
  • le Prince-consort des Neiges
  • celui qui a fait une vraie manœuvre
  • les parents de la patrie
  • le plus vilain jour de ma vie
  • le petit public
  • celui qui a une case en plus
  • le type qui a deux mains droites

Des phrases incohérentes

Certaines phrases surprendront toujours par leur manque de clarté.

« Il est entre la vie et la mort »
Bien sûr qu’on comprend : il est dans un état grave, probablement pas conscient, et à ce stade il aurait même une probabilité élevée de mourir ou de rester dans un état végétatif, voire sérieusement diminué.
Mais une chose est certaine : il est vivant.

« Le pronostic vital est engagé »
Quand on y réfléchit, c’est plutôt le pronostic de mort qui est engagé à ce stade.
Ou alors on devrait dire que son pronostic vital – qui était de 100 % jusqu’il y a peu, quand la personne allait très bien – vient de se détériorer fortement.