Mois de juin oblige, on commence – et on se fait des ennemi•e•s d’entrée de jeu – en disant que rien ne ressemble plus à un match de foot qu’un autre match de foot. Ou plutôt son commentateur (ou la commentatrice, c’est selon¹).
Petit manuel pour bien rentrer dans le moule.
Tant que le match se poursuit, tenez votre public en haleine avec « il reste 6 minutes à jouer, il peut se passer beaucoup de choses pendant ce temps », ou « le match n’est pas fini ». Oui, merci pour cette belle info.
Étudiez de vieilles stats, pour y trouver des coïncidences inouïes qui mettront en valeur votre sens déductif. Surtout si le type qui a marqué un but à la Coupe du Monde de 1962 portait le même numéro de maillot, et qui c’était quasiment le même jour de l’année (oui, les grands tournois se déroulent toujours fin juin/début juillet), et quasiment à la même minute du match, enfin à 20 minutes près. N’hésitez pas à user de comparaisons très utiles pour nous sortir des réflexions comme : « La dernière fois qu’ils avaient battu l’équipe qui venait de jouer contre le pays-hôte, c’était en 1938. » ou « À seulement 17 reprises dans l’histoire de la coupe du monde, une équipe a réussi à refaire un retard de X buts. »
Rappelez toutes les 5 minutes qu’à ce niveau, les erreurs « se paient cash ». Ou dans le cas d’une belle action, proférez que c’est « à montrer dans toutes les écoles de football ». Belle expression à utiliser sans risque de lassitude : « pour le même prix, c’était dans le but », « pour le même prix l’arbitre pouvait lui donner la jaune », « pour le même prix, la passe aboutit et alors là, ça devient dangereux »… Avec des « si », en effet…
Si une équipe joue son premier grand tournoi international, n’hésitez pas à claironner triomphalement tout ce qui sera une « première » : premier tir cadré de leur histoire, première faute, première remise en jeu, premier coup de coin, premier carton, premier changement… À défaut, pour des équipes déjà en place, vous pouvez appliquer cela pour chaque joueur, pour signaler tout ce qu’il fait « pour la première fois » dans ce match.
Très important dans une Coupe du Monde, essayez de deviner avec quelle équipe, les téléspectateur•rice•s se sentiront une affinité naturelle. Par exemple, s’il y a un pays méditerranéen ou un pays francophone d’Afrique, il y a de fortes chances que le public se sentira plus proche de celui-ci, surtout si en face il y a la Corée du Sud, l’Australie ou le Costa Rica. Ajustez alors vos analyses en fonction de cette donne, et vous n’aurez plus de problème pour interpréter le travail de l’arbitre sur les phases litigieuses (faute très légère et involontaire ou épouvantable agression pour laquelle il aurait vraiment dû donner un carton), ou pour juger si la victoire est méritée ou s’il s’agit d’un honteux hold-up.
Quand il s’agit de notre équipe, appliquez la règle du supporter de base : quand on gagne, c’est parce que nos joueurs sont bons, et quand on perd c’est parce que l’entraîneur est mauvais. D’ailleurs, il est connu que s’il avait aligné tel ou tel joueur le match aurait beaucoup mieux tourné (en se gardant évidemment de préciser à quels joueurs il aurait dû renoncer ; pour le supporter de base l’entraîneur devrait aligner minimum 18 joueurs de notre équipe en même temps, dont 6 ou 7 attaquants ou joueurs appréciés du public, qu’importe qu’ils soient en méforme ou que ça ne corresponde à aucune tactique de jeu).
Pour ne pas répéter sans cesse le même adjectif de nationalité, alternez, pour que les Portugais deviennent une fois sur deux « les Lusitaniens ». Si vous ignorez un synonyme, cherchez une personnalité connue et faites des joueurs russes « les compatriotes de Poutine », ou trouvez un cliché sur le pays : les Égyptiens deviendront « les bâtisseurs de pyramides » et les Australiens, pourquoi pas, « les kangourous ». D’ailleurs, en matière de clichés, vous pouvez y aller sans limite : en Argentine tout le monde danse le tango, et il est bien connu qu’après une victoire de l’Espagne la sangria coulera à flots. Vous recevez 90 minutes de temps d’antenne et personne pour vous couper la parole, il faut bien meubler comme vous pouvez.
(1) Hors sujet : certes, la Coupe du monde ou les grandes compétitions de foot qui passent à la télé et dont tout le monde parle, c’est toujours celles où jouent les hommes – la couverture médiatique du foot féminin est minuscule – mais la personne qui commente et les analystes sont quasiment toujours des hommes. Et quand de temps en temps il y a une femme, alors tous les gros machos déversent leur fiel sur les réseaux sociaux pour la traiter d’incompétente ou pour s’en moquer. Je n’ai pas connaissance non plus d’une équipe masculine entraînée par une femme, même si rien n’oblige dans le règlement que ce soit un homme. On pourra en reparler de tout ça une autre fois.